Émail de faïence : description et mise en pratique

Céramiques de faïence de Suzanne Daigeler

Sommaire

Petit rappel sur l’émail en céramique

La particularité de l’émail basse température

La fritte céramique

         Pourquoi utiliser une fritte ? 

Les frittes dans les émaux de faïence

Formules de frittes et recettes d’émail

Le cas particulier de la vaisselle

Pour de premiers essais simples

Comme nous l’avons vu dans un précédent article, l’émail céramique est un verre fondu qui confère à la céramique solidité et protection. Il favorise aussi l’étanchéité et la coloration de la pièce.

Les émaux appliqués sur la faïence se distinguent des émaux de grès par leur température de cuisson plus basse : 960°/1020° pour la faïence alors que pour le grès et la porcelaine, la température de fusion des émaux se situe entre 1240° et 1300°.

Petit rappel sur l’émail en céramique

L’émail est essentiellement constitué de silice.

La silice seule fond aux alentours de 1700 °C. Cette température étant impossible à atteindre avec un four de potier (qui ne dépasse pas 1300 °C), on abaisse le point de fusion de cette silice grâce à la propriété physico-chimique nommée « eutectique » : l’association d’ingrédient de issus des 3 pH différents abaisse la température de fusion du mélange (voir notre article).

On ajoute ainsi à la silice de pH acide, de l’alumine (pH neutre) et un assemblage d’oxydes de pH basiques, que l’on appelle :

  • Les alcalis, essentiellement du sodium et du potassium
  • les alcalino-terreux, qui sont le calcium, le magnésium, le strontium et le baryum
  • l’oxyde de zinc.

Le choix de l’assemblage d’oxydes basique dépend du résultat d’émail que l’on souhaite obtenir. Le mélange de tous les ingrédients présents dans cette base d’émail influencera la texture ainsi que le rendu de la couleur apportée par l’oxyde colorant, que l’on ajoute en dernière étape.  

Ces mélanges peuvent généralement abaisser la température de fusion de l’émail jusqu’à environ 1245 °C.

La particularité de l’émail basse température

1245 °C, c’est une température encore trop haute pour émailler de la faïence. C’est pourquoi il est nécessaire d’ajouter des « fondants puissants » dans la recette d’émail basse température.

Les deux principaux fondants pour abaisser la température de fusion de l’émail en dessous de 1000 °C sont : le plomb et le bore.

Le plomb est un oxyde toxique pour le corps humain. Il est possible de l’utiliser pour fabriquer des émaux du moment que l’on se protège pendant la fabrication (avec des gants et un masque). Il sert à fabriquer des pièces décoratives. Mais il ne faut surtout pas l’utiliser pour fabriquer un émail qui sera utilisé pour recouvrir de la vaisselle, car le plomb provoque une maladie que l’on appelle le saturnisme.

Nous nous intéresserons donc plus spécifiquement au bore.

Le céramiste américain Matt Katz a créé un tableau très intéressant permettant d’illustrer la quantité en mole de bore qu’il faut ajouter à une formule pour abaisser la température de fusion :

U.M.F = United Molecular Formula (Formule de Seger). Graphique de Matt Katz

La diagonale noire indique la quantité de bore en mole : par exemple pour abaisser une température de fusion de 1280 °C à 1050 °C, il faut ajouter 0,45 mole de bore dans la formule de Seger. Nous expliquons ce qu’est une formule de Seger, et comment utiliser le graphique de Matt Katz ainsi que le logiciel Glazy pour adapter toute recette de haute température en basse température dans notre cours en ligne.

Le bore

Le bore n’existe pas en tant que tel dans la nature, mais sous forme combinée. L’oxyde le plus courant, B2O3, soluble dans l’eau, s’allie naturellement à d’autres oxydes comme l’oxyde de calcium (CaO) et/ou de Sodium (Na2O).

Les composés borés disponibles chez les revendeurs pour céramiste sont :

  • Le borax :(B2O3 +Na2O +10H2O) on le trouve sous forme cristallisée (comme du sucre en poudre) mais cela nécessite d’avoir un broyeur à jarre pour l’utiliser.
  • La Colémanite : (B2O3 +CaO +5H2O) : c’est une poudre plus fine que le borax, mais qui peut provoquer des retraits ou décrochements de l’émail.
  • Le Gerstley borate (B2O3 +CaO +H2O) est préférable à la Colémanite,car il est moins riche en H2O. Il provoque moins de retrait au moment où l’eau s’évapore durant la cuisson, réduisant le risque de rétractations ou de décrochements de l’émail. Petit bémol : on ne le trouve pas toujours facilement chez les revendeurs en France.
  • L’Ulexite  (B2O3 +Na2O +CaO) : c’est le produit le plus facile à utiliser lorsque l’émail doit contenir, en plus du bore, du sodium et du calcium dans la recette. Il ne crée pas de défauts lors de la montée en température.

Ces quatre produits ne sont pas toujours identiques d’un revendeur à l’autre, car ils dépendent du gisement où ils ont été exploités. C’est pourquoi les industriels qui ont besoin de beaucoup de bore pour la fabrication de leurs émaux préfèrent souvent utiliser des produits dont la composition est chimiquement stable, car ils ne sont pas exploités dans un gisement, mais fabriqués en usine : ce sont les frittes céramiques.

La fritte céramique

La fritte est un produit issu de l’industrie qui permet d’incorporer du bore dans un émail en le rendant stable car il est fixé à de la silice.

Pour fabriquer une fritte, l’industriel fait fondre les poudres de matières premières dans un creuset à sec (sans ajouter d’eau) à une température élevée. Il crée ainsi une masse vitreuse grâce aux eutectiques produits, puis il précipite le tout dans de l’eau pour créer un choc thermique qui fera éclater en paillettes le « verre fritté » obtenu. Il ne lui restera plus qu’à broyer finement ces paillettes pour avoir une farine prête à l’emploi pour la fabrication des émaux. Cette technique utilise un broyeur beaucoup plus puissant qu’un broyeur à jarre que peut se fournir un céramiste.

Pourquoi utiliser une fritte ?

La fritte a deux utilités principales :

  • Elle permet d’incorporer des produits qui seraient solubles dans l’eau s’ils n’avaient pas été frittés : le bore, mais aussi le sodium et le potassium. Les composés d’émail solubles dans l’eau migrent vers le tesson à l’application, modifiant la réaction à la chaleur : la terre se déformera à la cuisson, et l’émail n’aura plus l’élément nécessaire à la fusion, car le composé se trouve dans le tesson et non plus dans l’émail. Le sodium et le potassium pourraient être incorporés dans l’émail par le biais d’un feldspath. Mais pour les émaux de faïence, le feldspath risquerait d’amener trop d’alumine et trop de silice (voir les formules des feldspaths) ce qui ne permettrait pas une fusion à basse température.
  • Elle permet d’incorporer certains produits dangereux quand ils sont crus, comme le baryum : une fois fritté, il peut être utilisé sans danger dans l’atelier. Cela réduit considérablement la nocivité de certains composés.

Les frittes dans les émaux de faïence

Pour la fabrication des émaux de faïence, on va donc très souvent utiliser les frittes pour pouvoir ajouter du bore.

Les frittes qu’on trouve chez le revendeur (Ceradel, Solargil, la Como, les Cousin etc.) fondent à une température précise, entre 700 °C et 1100 °C, suivant leurs compositions.

Pour concevoir un émail de faïence, on choisit une fritte qui fond en dessous de 1000 °C. On rajoute de la silice et de l’alumine pour trouver la fusion idéale recherchée (comme la progression Al2O3/SiO2 que l’on fait pour trouver l’émail de haute température qui nous convient).

La fritte jouera un peu le rôle du feldspath dans un émail de haute température : elle apportera les ingrédients de pH basique. Mais avec une fritte, la proportion d’alumine et de silice utilisée sera beaucoup moins importante que dans un émail de haute température faite sans fritte. Cette dernière contient en effet déjà de l’alumine et de la silice.

Dans notre webinaire sur l’émail, nous expliquons que notre cours en ligne se concentre sur la fabrication d’émaux de haute température pour deux raisons :

  • Les frittes coûtent cher à l’achat : on n’économise donc pas beaucoup en fabriquant ses émaux, au lieu de les acheter tout faits
  • L’utilisation d’une fritte n’est pas toujours simple… Nous vous expliquons pourquoi.

Formules de frittes et recettes d’émail

La fritte est un produit complexe, constituée de multiples ingrédients.

Voici par exemple la composition de deux frittes, en moles. La première représente les mélanges les plus simples possibles (avec déjà 5 ingrédients !) :

FR 7 de Solargil :

Na2O (Sodium) 0,60 mol    

Al2O3 (Alumine) 0,22 mol  

SiO2 (Silice) 2,74 mol

K2O (Potassium) 0,40 mol

B2O3 (Bore) 1,61 mol

La deuxième formule d’une fritte un peu plus complexe :

FR 6 de Solargil :

SiO2 (Silice) 2,55 mol                         

Na2O (Sodium) 0,29 mol

B2O3 (Bore) 0,26 mol

Fe2O3 (Fer) 0,04 mol

Al2O3 (Alumine) 0,38 mol  

K2O (Potassium) 0,19 mol

BaO (Barium) 0,05 mol

CaO (Chaux) 0,06 mol

PbO (Plomb) 0,41 mol

Autrement dit, une fritte ressemble déjà, toute seule, au mélange d’un émail.

Si vous trouvez la recette d’un émail qui vous plaît et que vous pouvez vous procurer facilement la même fritte (dans le cas où la personne qui a trouvé la recette se trouve dans le même pays que vous et que vous avez donc accès aux mêmes fournisseurs), répéter cette recette sera alors facile. Plus facile même que d’adapter une recette sans fritte, car cette dernière a une formule chimique toujours identique — contrairement au feldspath qui est extrait de différentes carrières, ou même de différents points d’une même carrière.

Mais s’il s’agit d’une recette utilisant une fritte qui n’est pas disponible dans votre pays, alors il vous faudra choisir une autre fritte et adapter la recette en passant de la recette à la formule, comme nous l’expliquons dans notre cours en ligne.

Comme la recette de la fritte est complexe, cela rend difficile le calcul global de la recette d’émail.

Il vous faudra pour cela récupérer la formule de la fritte, son poids moléculaire, et son point de fusion. Les revendeurs sont tout à fait capables de vous fournir ces informations.

Pour les frittes vendues en Europe, vous pourrez retrouver facilement les détails d’une fritte via le site d’un potier français : Philippe Moutereau, qui fournit gracieusement la liste et les formules de pratiquement toutes les frittes que l’on peut retrouver en Europe.

Site pour formules de frite : http://pmoutereau.free.fr/frittes/frittes.html

Accès au webinaire gratuit sur l'émail

Le cas particulier de la vaisselle 

Contrairement aux terres de grès et de porcelaine, la terre de faïence reste poreuse après cuisson. Cela veut dire que l’on ne peut pas s’en servir pour contenir du liquide, à moins de la recouvrir d’un émail étanche.

Si on veut faire de la céramique de vaisselle avec de la faïence, il ne faut donc surtout pas que l’émail craquèle — dans ce cas il n’est plus étanche. Au contraire, si on ne souhaite pas faire de vaisselle, les craquelures peuvent être recherchées car elles apportent de très beaux effets !

Un émail craquèle lorsqu’il n’a pas le même coefficient de dilatation que la terre sur laquelle il a été posé. En effet, la terre comme l’émail se dilatent au moment de la cuisson, car tous les deux contiennent de la silice qui se dilate. Si cette « expansion » momentanée n’est pas la même pour la terre et l’émail, si l’une se dilate plus que l’autre, alors l’émail sera forcé de bouger sur la céramique, provoquant des craquelures.

Comme cet effet dépend autant de la terre que de l’émail, reproduire la recette basse température d’un autre céramiste qui pour lui ne craquèle pas ne veut pas dire que cette même recette ne craquèlera pas pour vous. Car il faudrait utiliser exactement la même terre pour fabriquer vos céramiques.

Ainsi, si vous voulez faire de la vaisselle de faïence, même si vous pouvez vous procurer la même fritte que la recette d’émail que vous suivez, il est possible qu’il faille faire des recherches, comme décrit plus haut, pour trouver un équilibre de proportion entre la fritte, l’alumine et la silice rajoutés, pour que l’émail ne craquèle pas sur vos pots. Cela demande de l’expérience et de la pratique.

Les craquelures ne sont pas toujours visibles. Pour vérifier leur présence éventuelle, mettez de l’eau dans la céramique et attendez une nuit pour voir si ça fuit.

Pour de premiers essais simples

Si vous ne cherchez pas à faire de la vaisselle et que vous ne vous sentez pas prêt encore à calculer vos émaux, vous pouvez faire de premiers essais simples comme suit :

  • Procurez-vous une fritte fondant en dessous de 1000 °C chez un revendeur et ajoutez petit à petit de l’alumine et de la silice, soit par le biais d’un Kaolin (alumine+silice), soit par le biais d’un feldspath (alumine+silice+sodium+potassium) avec des progressions lentes de 5 g par 5 g pour 100 g de fritte. Vous pouvez aller jusqu’à 25 g de kaolin ou feldspath rajoutés.
  • Vous passerez du « transparent qui coule » au mat/incuit blanc, avec toutes les textures intermédiaires. Une fois la texture choisie, vous pourrez faire des progressions d’oxydes colorants.

La fusion et la couleur de l’émail seront en lien direct avec le support (la terre). Des résultats pourront être très différents d’une terre à l’autre.

Cette technique simplifiée ne corrige bien sûr pas les craquelures de l’émail, et donc l’étanchéité de la céramique, le problème majeur de la faïence.

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animé par Matthieu Liévois,
potier-céramiste depuis plus de 40 ans et fondateur de l’école Créamik

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