Le thé et la céramique, une histoire millénaire

 

Sommaire

 

1 – Histoire de la céramique liée au thé

2 – La cérémonie du thé

3 – Matériaux, techniques, design et esthétique

4 – Tendances actuelles dans l’univers du thé

5 – Entretien et conservation des céramiques

 

Introduction

Le thé et la céramique, tous deux millénaires, ont écrit une belle histoire commune, qui continue à vivre et inspirer de nombreux potiers. Il n’y a qu’à voir l’actualité cinématographique et télévisuelle pour constater l’intérêt toujours vif que suscite le thé. Le film Black Tea d’Abderrahmane Sissako (le réalisateur de Timbuktu) qui sortira le 28 février 2024, promet une immersion dans l’univers du thé et de sa dégustation. Simultanément, l’émission The Great Pottery Throw Down, diffusée sur Channel 4 au Royaume-Uni, engage ses participants à créer une théière dimanche prochain, le 11 février 2024. Ces deux événements, bien que différents dans leur format, éveillent un intérêt commun pour l’histoire fascinante du thé.

La simple vision de la bande-annonce de Black Tea suscite le désir de se plonger plus profondément dans l’univers du thé, tandis que l’annonce du défi de The Great Pottery Throw Down met en lumière l’art et la technique de la réalisation d’une théière. Ces moments culturels à venir soulignent l’importance du thé et de la céramique dans leur dimension artistique et artisanale, et comme vecteurs de récits et d’expériences humaines enrichissantes.

 

Le thé, cette infusion si délicate, s’est imposé au fil des siècles dans de nombreuses cultures à travers le monde. Sa dégustation est devenue un art en soi, où chaque détail compte et où la céramique joue un grand rôle parce que c’est dans le creuset de la terre cuite, façonnée à la main, que le thé révèle ses nuances et son essence véritable.

Cet article explore la symbiose entre le thé et la céramique, une relation qui s’étend bien au-delà de la fonctionnalité. En étudiant l’histoire de cette alliance, nous découvrons comment la céramique, à travers ses tasses et ses théières, est devenue pour le thé un partenaire incontournable.

Histoire de la céramique liée au thé

 

Le thé est indissociable de la céramique, qui accompagne sa préparation et sa dégustation depuis le début de son essor dans les pays asiatiques.

Origines de l’utilisation de la céramique pour le thé:

L’histoire de la céramique liée au thé commence en Chine, où le thé a été initialement cultivé et consommé. Aux alentours du 3e siècle après J.-C., les premières céramiques chinoises dédiées à la préparation et à la dégustation du thé ont vu le jour. Ces objets étaient alors simples et fonctionnels, reflétant la philosophie taoïste de simplicité et d’harmonie avec la nature. Les premières théières en terre cuite Yixing, reconnues pour leur capacité à absorber les arômes du thé, sont l’exemple type de cette période initiale.

Articles de Yixing au Musée de la céramique de Yixing en Chine

 

Évolution des styles et formes dans différentes cultures:

Chine

En Chine, l’évolution des pratiques dans la préparation du thé (à partir de briques, feuilles, poudres…) a entraîné des changements dans la fabrication des céramiques. Durant la dynastie Song (960-1279), la popularité des thés en poudre a donné naissance à des bols célèbres pour leur émail imitant le jade. Ce n’est qu’à la dynastie suivante, la dynastie Yuan, que naissent les théières. Avec l’avènement du thé en feuilles pendant la dynastie Ming (1368-1644), les théières devinrent plus petites, permettant une infusion plus concentrée et personnalisée.

Japon

Le thé et la céramique ont été introduits au Japon par des moines bouddhistes au 9e siècle. Inspirée de la pratique chinoise qui consiste à émulsionner la poudre de thé avec un fouet, la cérémonie du thé japonaise, ou « chanoyu », a largement influencé le design des céramiques. Les bols à matcha, connus sous le nom de « chawan », sont devenus emblématiques de cette tradition. Ils sont souvent rustiques, évoquant la philosophie Wabi-Sabi (voir le mail info du vendredi 2 février 2024) qui trouve de la beauté dans l’imperfection et la simplicité. Les styles raku, hagi et karatsu sont quelques-uns des plus célèbres exemples de cette époque.

Europe

L’introduction du thé en Europe débute au 16e siècle grâce aux Portugais et au comptoir de Macao. Mais c’est au 17e siècle que son commerce se développe. Son importation a provoqué une révolution dans la céramique occidentale. Initialement, le thé était bu dans des tasses importées d’Asie ou dans des récipients en argent. Cependant, la porcelaine européenne a rapidement gagné en popularité. Des manufactures comme Meissen en Allemagne, Sèvres en France ou encore Wedgwood en Angleterre, ont commencé à produire des théières, tasses et soucoupes très travaillées. Souvent ornés de motifs élaborés et de couleurs vives, ces ustensiles délicats reflètent alors les goûts et les tendances de l’aristocratie européenne.

La cérémonie du thé

 

La voie du thé
Par CheChe — CC0

 

La tradition de la cérémonie du thé trouve ses origines en Chine, où elle s’est développée comme une pratique raffinée de dégustation du thé, après une préparation minutieuse avec des ustensiles précis. Cette pratique, profondément enracinée dans la philosophie du Taoïsme, met l’accent sur l’harmonie avec la nature et la recherche d’équilibre. Le Gongfu Cha, art délicat chinois de la cérémonie du thé, crée un moment de tranquillité, qui souligne le plaisir esthétique et sensoriel du thé.

Importée de Chine par des moines, la cérémonie du thé a pris au Japon une forme distincte, influencée par le bouddhisme Zen. Cette pratique, connue sous le nom de chanoyu, transcende la simple consommation du thé pour devenir une voie spirituelle. Les principes du Zen, tels que la méditation, la pleine conscience, et l’esthétique Wabi-Sabi, sont intégrés dans le rituel, dans le but de transformer chaque geste en une contemplation spirituelle.

Le pavillon de thé japonais, ou chashitsu, et l’attention portée aux détails de la préparation et de la présentation du thé illustrent une quête d’harmonie, de respect, de pureté et de tranquillité. Ces valeurs, incarnées par des maîtres comme Sen no Rikyu (16e siècle), résonnent profondément dans la culture japonaise, faisant de la cérémonie du thé un pilier de l’esthétique et de la philosophie de la vie.

Pour en savoir plus : lire l’article Le secret du calme mystique des bols à thé Raku 

Copyright CC0

Un bol à matcha superbe de style Chōsen Karatsu-yaki (朝鮮唐津), entièrement fabriqué à la main par le maître Kimura, dans lequel une couche de glaçure blanche et une couche de glaçure noire semblent fusionner, symbolisant l’unité des contraires bien connue dans la philosophie Zen.

Ainsi, bien que partageant une origine commune, la cérémonie du thé en Chine et au Japon reflète les nuances de leurs cultures et philosophies respectives. En Chine, l’expérience est centrée sur l’art de la dégustation du thé, qui valorise la diversité des saveurs et des méthodes de préparation dans une variété d’environnements. Au Japon, le chanoyu est une expression profonde d’un chemin spirituel, où chaque élément du rituel est chargé de signification, en vue d’atteindre une harmonie intérieure et un état contemplatif.

La cérémonie du thé est également présente dans d’autres pays asiatiques, avec ses propres traditions et significations. En Corée, la cérémonie du thé, connue sous le nom de Darye, met l’accent sur la simplicité et les saveurs naturelles du thé. S’il existe des traces très anciennes d’offrande de thé aux divinités, la tradition coréenne du thé s’est notamment développée durant la période Joseon (1392–1910). Au Vietnam, la culture du thé, fortement influencée par ses voisins, est une activité sociale et détendue. La tradition vietnamienne du thé, bien que moins formalisée en tant que cérémonie, est une partie intégrante de la vie quotidienne depuis des siècles. Cette évolution de la cérémonie du thé démontre comment une pratique peut être adaptée et transformée par différentes cultures, chacune apportant sa propre interprétation et ses valeurs, enrichissant ainsi la tradition.

Si la « voie du thé » (chado ou sado) a perdu de sa profondeur spirituelle, la cérémonie du thé est toujours pratiquée de nos jours, tant dans ses pays d’Asie d’origine que dans le monde entier. Elle continue d’être une partie importante de la culture et de la tradition dans des pays comme le Japon, la Chine, et la Corée, où elle est enseignée comme une forme d’art et intégrée dans la vie quotidienne. En outre, l’intérêt croissant pour la méditation et la pleine conscience a contribué à une renaissance de la cérémonie du thé dans de nombreux autres pays, où elle est adoptée comme une pratique spirituelle et relaxante.

Matériaux, techniques, design et esthétique

 

Plongeons-nous dans l’univers technique de la fabrication de tasses et de théières. Quels ont été les premiers matériaux utilisés ?

Le grès et la porcelaine

Les civilisations ont d’abord utilisé le grès avant de développer la porcelaine. Le grès, connu depuis l’antiquité, était largement utilisé pour sa robustesse et sa capacité à retenir les liquides. Sa texture dense et non poreuse assure une excellente conservation de la chaleur et un maintien des arômes du thé.

La porcelaine, du fait de sa finesse et de sa translucidité, permet de réaliser des pièces plus légères tout en conservant leurs qualités thermorégulatrices. La porcelaine, développée en Chine durant la dynastie Han (206 av. J.-C. — 220 apr. J.-C.), a connu un essor important, devenant un matériau de choix pour les arts de la table. Les civilisations ont progressivement adopté la porcelaine après sa découverte, pour ses qualités esthétiques et sa résistance supérieure.

Les tasses

Les tasses à thé, par exemple, varient beaucoup en fonction des traditions culturelles. En occident, elles sont souvent munies d’une anse pour éviter de se brûler les doigts, tandis que dans de nombreuses cultures asiatiques, les tasses en sont dépourvues. Le buveur est ainsi encouragé à poser ses mains directement autour de la tasse, appréciant ainsi la chaleur du thé.

Les théières

Les potiers aiment fabriquer des théières, malgré la complexité de ce travail. Tout d’abord, la fabrication d’une théière est un défi artistique et technique qui permet aux potiers de montrer leur habileté et leur créativité. Chaque partie de la théière — le corps, le couvercle, le bec verseur et l’anse — doit être façonnée séparément, mais conçue pour s’assembler en une unité harmonieuse. Le bec verseur est à lui seul un défi.

Bien que longue à fabriquer et moins rentable que d’autres pièces, la théière peut être considérée comme l’emblème de l’héritage d’un métier et d’une tradition. En créant des théières, les artisans perpétuent un héritage culturel, tout en y apportant leur touche personnelle.

Le cours en ligne sur les dessins techniques permet d’apprendre à réaliser ses propres schémas de forme. Prenons ici l’exemple de la théière ronde que l’on apprend à tourner dans le cours intermédiaire de tournage :

 

Quelques design célèbres:

Théières Yixing

Les théières Yixing, originaires de la région de Yixing en Chine, sont renommées, car fabriquées à partir d’une argile spécifique connue sous le nom de « zisha » (argile pourpre). Elle absorbe progressivement les arômes du thé, enrichissant ainsi les saveurs au fil du temps. Le design de ces théières est souvent épuré, mettant l’accent sur la fonctionnalité et la relation intime entre la théière et son utilisateur. Chaque théière Yining est unique, car elle est supposée refléter la personnalité de son créateur.

Source : instagram # Yixing

Bols à matcha japonais

Les bols à matcha japonais, ou chawan, sont un autre exemple de la manière dont le design en céramique est influencé par le thé. Ces bols sont traditionnellement plus larges et plus profonds, permettant au matcha d’être fouetté efficacement. Leur design varie beaucoup, allant de formes simples et épurées à des motifs plus complexes et colorés. Ils reflètent ainsi la diversité des écoles et des traditions de la cérémonie du thé japonaise. Les chawans, qui sont des bols spécifiquement utilisés pour la cérémonie du thé japonaise, sont conçus pour être tenus par les deux mains.

 

 

Les yunomis

Les Yunomis sont des tasses japonaises traditionnelles utilisées pour boire du thé, et typiquement fabriquées en grès ou en porcelaine. Elles s’inscrivent dans la tradition japonaise du thé, bien qu’elles soient moins formelles que les chawans.

Yunomis, Jean-Claude canonne

Tendances actuelles dans l’univers du thé

 

Théière, bols, tasses, chawans, yunomis, l’univers du thé continue d’inspirer les potiers de tous pays et de toute culture. Le design des objets de thé d’aujourd’hui reflète un mélange d’influences traditionnelles et contemporaines, avec un accent croissant sur l’individualité et la durabilité.

Design minimaliste et écologique

Un design épuré, minimaliste, qui met l’accent sur la simplicité et la fonctionnalité, s’est beaucoup développé ces dernières années. Ces créations tendent à favoriser des palettes de couleurs naturelles, qui cherchent à refléter une conscience écologique. Il existe également une tendance à fusionner des styles et des techniques de différentes cultures, créant ainsi des pièces qui racontent une histoire globale. Des éléments du design japonais, chinois et même scandinave peuvent se retrouver dans un seul et même objet, reflétant un monde de plus en plus interconnecté.

Style d’aujourd’hui

TangPin Tea

TangPin Tea raconte en vidéo son utilisation du thé, de sa préparation (avec la création de parfums), et de l’utilisation des contenants. On y découvre notamment une gamme de mini réchauds faciles à réaliser, pour profiter d’un bon thé chaud longtemps. L’auteur illustre souvent ses propos avec beaucoup d’humour et même des gags qui sont bien loin du recueillement des cérémonies du thé !

Tangpintea

Entretien et conservation des céramiques

 

L’entretien des céramiques pour le thé est conseillé pour préserver leur beauté et leur fonctionnalité sur le long terme. Il est recommandé de les laver à la main avec de l’eau tiède et un détergent doux. Évitez les éponges abrasives. Après le lavage, séchez-les immédiatement avec un chiffon doux pour éviter les taches d’eau et les dépôts de minéraux. Rangez-les dans un endroit sûr où elles ne risquent pas d’être renversées, heurtées, et donc ébréchées. L’utilisation et l’entretien des céramiques de thé influencent leur patine et leur apparence au fil du temps.

Développement de la patine, quel impact esthétique ?

Théières Yixing : les théières Yixing en argile non émaillée développent une patine après une utilisation répétée, car elles absorbent les arômes du thé. Cela peut enrichir la saveur des infusions futures.

Porcelaine et grès : les articles en porcelaine ou en grès émaillés conservent généralement leur apparence initiale plus longtemps, surtout avec un entretien régulier et soigné.

Certains articles peuvent changer de couleur ou se tacher avec le temps, en particulier s’ils sont fréquemment utilisés pour des thés fortement pigmentés. Des craquelures fines peuvent apparaître sur l’émail, ce qui est souvent considéré comme un embellissement esthétique dans la culture du thé, notamment en Asie.

Conclusion

 

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?

L’exploration du monde du thé nous immerge dans une palette de traditions et d’expressions culturelles, qui reflète une quête de beauté, de fonctionnalité et de sens. Dans chaque tasse, dans chaque théière, se trouve une histoire, un pont entre le passé et le présent, entre l’expérience sensorielle et l’expérience intérieure, semés de rituels qui rythment notre existence.

La céramique dialogue avec le thé, et ce partenariat séculaire entre la céramique et la culture du thé souligne une vérité fondamentale : les objets que nous créons et utilisons ne sont pas de simples outils, ils sont le reflet de nos valeurs, de nos aspirations et de notre connexion à l’univers. En définitive, le thé et sa céramique nous rappellent que c’est dans les gestes les plus ordinaires que se cachent souvent les plus profondes méditations sur la vie, la nature et l’art.

 

 

Centre de ressources
animé par Matthieu Liévois,
potier-céramiste depuis plus de 40 ans et fondateur de l’école Créamik

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