L’utilisation de la cendre dans les émaux

 

Sommaire

 

1 – Origines et composition des cendres
2 – Préparation des cendres pour l’émaillage
3 – Exemples de travaux réalisés à Créamik

Introduction

 

L’utilisation des cendres dans la céramique, notamment dans les émaux, est une pratique ancestrale qui a traversé cultures et continents. Cette technique, qui utilise les résidus de combustion de matériaux organiques tels que le bois, les plantes, les pépins de pomme, les coques de noix, les os, les coquilles d’animaux… s’utilise encore dans la poterie d’aujourd’hui.

Ainsi, ce qui était considéré comme un déchet se transforme en un matériau précieux pour l’artiste potier. Les cendres, une fois mélangées avec de l’eau et d’autres composants, forment un émail qui va créer des effets visuels étonnants. Les variations de couleur et de texture dépendent de l’origine des cendres, du type d’argile utilisé et des spécificités de la cuisson.

Le mercredi des Cendres est l’occasion de réfléchir à cette technique et à la dimension symbolique qu’elle revêt. Les cendres, quand elles sont intégrées à un émail céramique, redonnent vie à des matériaux destinés au rebut. Ce renouveau est particulièrement pertinent dans le contexte écologique actuel, où la réutilisation des ressources existantes occupe le devant de la scène. Découvrons cette technique des émaux à la cendre, aux possibilités artistiques infinies et chargée d’histoire.

Origines et composition des cendres

 

Historiquement, la cuisson des céramiques se faisait au bois. C’est ainsi qu’a été mise en lumière de façon tout à fait fortuite la capacité des cendres à vitrifier. Le développement technique a permis de réaliser des cuissons à partir de nouveaux combustibles, il a donc fallu intégrer la cendre directement à l’émail utilisé.

 

Quelles sont les cendres qui peuvent être utilisées ?

  • Les cendres de bois : ce sont probablement les plus faciles à récolter. Selon l’espèce d’arbre et la partie brûlée, les cendres de bois sont différentes et offriront dans l’émail une large gamme d’effets. Il suffit de récolter les cendres de votre propre cheminée ou insert, pour avoir des cendres de bois dur.
  • Les cendres végétales : appelées aussi cendres de foin, elles sont plus compliquées à obtenir puisqu’il faut récolter les végétaux puis les transformer en cendres. Vous pouvez récolter l’herbe issue de la tonte de votre jardin. Compter 10 kg de matière pour 1 kg de cendre.
  • Les autres matériaux : les cendres de coquilles d’animaux sont riches en calcium. Là aussi, cela demande un travail laborieux – ramasser des coquilles d’huîtres, conserver des coquilles d’œufs… mais rempli de belles surprises. Julie Slama que l’on peut suivre sur Instagram, a fait de l’utilisation de coquilles d’huîtres une de ses spécialités :
Kal_studio Julie Slama : émail à base de coquilles d’huîtres calcinées.
  • La cendre d’os : nous la traitons à part, car c’est la cendre qui est le plus largement proposée à la vente. Elle est assez chère, mais a l’avantage d’être prête à l’emploi ; sa composition rend moins aléatoires les résultats lors du réapprovisionnement. Cela dit, on doit toujours procéder à des essais quand on entame la matière première d’un nouvel arrivage.

 

Caractéristiques chimiques et physiques

La composition des cendres varie largement d’une cendre à l’autre, mais on retrouve des minéraux que nous utilisons classiquement dans la fabrication des émaux, tels que la silice, l’alumine, le potassium, le calcium, l’oxyde de fer… Alors, pourquoi utiliser de la cendre ? Parce qu’elle va nous apporter un élément nouveau : le phosphore.

  • La silice et l’alumine : ils sont les fondamentaux pour la formation de l’émail, contribuant à sa structure et à sa durabilité. Vous pouvez consulter notre article pour tout comprendre sur l’émail céramique.
  • L’oxyde de fer : source de couleurs variées, sa présence sous la seule forme de traces contribue aux changements de couleur.
  • Le calcium : il augmente la fluidité de l’émail.
  • Le phosphore : il peut modifier la viscosité de l’émail. L’intérêt principal qu’on en tire est sa capacité à donner des nucléations et de la cristallisation.

Préparation des cendres pour l’émaillage

 

La préparation des cendres est l’étape fondamentale pour leur utilisation en céramique. Il s’agit en effet de transformer ce sous-produit de la combustion en un composant précieux pour les émaux. Ce processus, bien que simple en apparence, nécessite du temps et de l’attention pour que les propriétés vitrifiantes de la cendre donnent le meilleur d’elles-mêmes.

 

Collecte et sélection des cendres

La première étape consiste à collecter les cendres. C’est le moment de faire son choix : nous avons évoqué les cendres de la cheminée. Mais à ce stade, on peut privilégier un bois ; chaque essence donnera un résultat différent. Et pour une même essence, le résultat sera également différent selon la terre qui l’a nourrie. C’est comme pour la vigne et le vin qui en résulte. Ensuite, les cendres doivent être exemptes de gros débris comme les morceaux de charbon non brûlés ou les gros fragments de bois. Le tamisage se fait sur un tamis de chantier à grosses mailles.

 

Nettoyage et tamisage

Une fois collectées, les cendres sont nettoyées pour éliminer les impuretés. Il faut les laver à grandes eaux pour enlever les composants solubles indésirables qui pourraient affecter la qualité de l’émail, notamment la soude, qui est un puissant fondant.

Il est très important de porter des gants de cuisine bien protecteurs, car l’excès de soude peut être corrosif pour la peau. Attention aussi aux éclaboussures quand vous versez le mélange d’un récipient à un autre.

Entre chaque lavage, on laisse reposer le mélange. Une fois que la cendre repose au fond du seau, on enlève le plus d’eau possible. Puis on remet de l’eau, on attend à nouveau la sédimentation de la cendre pour enlever l’eau à nouveau. Cette opération est à renouveler trois fois. Il ne faut pas hésiter à mettre beaucoup d’eau (au moins trois fois plus d’eau que de cendre) et à bien brasser l’ensemble. À cette étape, on peut sécher et tamiser à travers un maillage 80 pour obtenir une poudre fine et homogène, mais les cendres sont encore grossières, il y aura une importante perte de poudre. Si on choisit cette option, il faut en amont récolter une grande quantité de cendre. Ce tamisage assure l’uniformité de la texture des cendres et élimine les particules trop grosses qui pourraient causer des défauts dans l’émail fini.

Cendres avant tamisage. On perçoit bien la grossièreté du mélange.

Pour obtenir un mélange plus homogène, il est conseillé d’utiliser le broyage. Pour cela, on ajoute aux cendres et à l’eau, des billes ou des galets, dans un bidon :

 

Ce tamis de cuisine sert ensuite à séparer les billes qui ont permis le broyage du mélange :

 

Ce tamis de cuisine sert ensuite à séparer les billes qui ont permis le broyage du mélange :

 

Cendres après broyage, le mélange est devenu fluide :

 

Il ne reste plus qu’à assécher le mélange. Il est conseillé d’utiliser un récipient en métal qui ne risque pas de fondre si la cendre est séchée sur un poêle ou dans un four de cuisine. On peut aussi la sécher dans son four de céramique. Attention à ne pas trop chauffer, car la soude va fondre et la cendre va à nouveau s’agglomérer, obligeant à recommencer le broyage, le tamisage…

Si vous n’avez pas de broyeur à jarre, il y a une astuce très simple pour utiliser votre tour de poterie comme un broyeur. Matthieu le présente dans son cours en ligne : Comment broyer des émaux en utilisant son tour ? Cours avancé sur l’émail. Chapitre 3 : la pose des émaux. 8 – L’astuce du broyeur à jarre.

 

Mélange avec d’autres composants d’émaux, phase de test

Les cendres préparées sont ensuite mélangées avec d’autres composants pour créer l’émail. La proportion de cendres dans le mélange dépend de l’effet désiré. La précision dans le mélange est essentielle pour trouver la consistance adéquate et être en mesure de reproduire les résultats. L’expérimentation se réalise sur des tessons pour évaluer l’effet des cendres sur la couleur, la texture et la fusion de l’émail. On peut les faire avec différentes terres.

Ces tests permettent d’ajuster les formules ainsi que les techniques d’application pour obtenir des résultats probants. L’expérimentation avec différentes températures de cuisson, durées, et atmosphères (oxydantes ou réductrices) peut également révéler des variations significatives dans l’aspect de l’émail après cuisson.

Exemples de travaux réalisés à Créamik

 

À l’école Créamik, nous avons travaillé les émaux à la cendre avec différents groupes, en suivant la méthode de travail habituelle : la première étape consiste à sélectionner une base de travail, puis à ajouter de la cendre selon une progression précise. Après une première cuisson de ces essais, nous avons sélectionné des tessons pour lesquels nous avons procédé à l’ajout d’oxydes, toujours au sein d’une progression. Toutes les photos suivantes sont une sélection de tessons sortis du four, parmi une multitude de résultats et d’effets extraordinaires.

Nous avons mis en lumière la forte fusibilité qu’introduit la cendre dans une couverte de base :

Mais dans le même diagramme, nous avons observé l’apparition de nucléations, que l’on fait ensuite évoluer avec les oxydes :

Ici, le même émail que le précédent avec 15% d’oxyde de fer :

Autre exemple où l’on voit que l’association du titane et de la cendre est prometteuse :

Un autre exemple …l’oxyde de fer ne déçoit jamais !

Progression classique de titane et de fer pour un résultat encore surprenant :

On aime sortir ce genre de tesson du four… :

Ici, l’effet obtenu avec le seul ajout de titane à la base de travail :

Toujours dans la même progression, avec du titane et du nickel :

À l’issue de nos essais, nous avons constaté que nous obtenions de très beaux résultats en cuisson oxydante. C’est donc une très bonne piste de recherche pour tous les potiers équipés de four électrique. Nous vous renvoyons au passage du livre de Daniel de Montmollin La pratique des émaux de grès, qui propose une démarche pour rechercher des rouges de fer et des bleus de fer en four électrique avec de la cendre. Il s’appuie sur les travaux d’Héléna Klug.

Au terme des recherches, voici ce que l’on peut obtenir : émail à la cendre de bois dur (récupération de cendres de bois de chauffage), cuisson réductrice à 1280°C. Apparition de nucléations roses.

Grand vase, Matthieu Liévois

Voici une recette pour se lancer dans les émaux à la cendre, avec une cuisson entre 1260°C et 1280°C. Elle estexprimée pour 100 grammes (pourcentage). Elle est applicable en atmosphère réductrice (four à gaz) ou oxydante (four électrique ou four à gaz) :

Cendre de chêne (ou de bois dur) 30,7%
Feldspath orthose (potassique) 30,7%
Chaux 07,4%
Etain 01,9%
Silice 29,3%

+7% de rutile
+1 à 2% d’oxyde (fer, cobalt, chrome, cuivre…. au choix ou combiné, à vous de faire des essais).

Conclusion

 

En explorant l’utilisation des cendres dans l’élaboration des émaux, nous avons révélé leur capacité à métamorphoser profondément notre émail de base. Cette transformation révolutionne également l’inspiration du céramiste qui devient un alchimiste, parce qu’à partir de l’ordinaire, il produit de l’extraordinaire. Encore une fois, le potier découvre la noblesse d’un matériau modeste pour obtenir une superbe pièce unique.

La fabrication de nos poteries nées de la cendre nous fait participer au cycle perpétuel de transformation qui nous entoure, nous rappelant que, dans l’art comme dans la vie, toute fin est également un commencement.

 

 

 

 

Centre de ressources
animé par Matthieu Liévois,
potier-céramiste depuis plus de 40 ans et fondateur de l’école Créamik

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